Donald Trump : Le dernier qui a parlé a-t-il forcément raison ?
Stratégie du fou ? Ou stratégie folle ?

Donald Trump : Le dernier qui a parlé a-t-il forcément raison ?

Comme on le sait, en Occident, la parole des politiciens ne vaut pas grand-chose. Mais ici, nous nous trouvons en présence d’un champion du monde toutes catégories. Une fois de plus, le président des États-Unis est revenu sur ses déclarations : l’ultimatum de 50 jours lancé à la Russie pour mettre fin à la guerre en Ukraine a été réduit à… dix ou douze jours !

Pour justifier ces changements d’attitude, les partisans qui lui restent invoquent la « stratégie du fou », c’est-à-dire changer de position de manière illogique pour que l’adversaire ne sache pas sur quel pied danser. D’autres, tout aussi erratiques et versatiles, appellent cela l’« ambiguïté stratégique ». Il nous semble possible d’avancer une autre explication. Sans prétendre entrer dans la tête de Donald Trump, on peut constater qu’il a toujours tendance à adapter sa position à son entourage et à se plier aux arguments du dernier qui a parlé.

Or, c’est lors d’une rencontre en Écosse avec le Premier ministre britannique, champion de la guerre contre la Russie, que le président étatsunien a changé de position. On sait que le but du Royaume-Uni, comme de la France et de l’Allemagne, est de ramener les États-Unis à la politique de l’administration de Joe Biden : soutenir l’Ukraine « as long as it takes », en misant sur un effondrement économique – et donc militaire – de la Russie.

Il n’est pas difficile d’imaginer l’argumentation de Keir Starmer : « On ne peut pas faire confiance à Vladimir Poutine. Il se joue de vous, Monsieur le président. Il vous prend pour un imbécile alors que son économie est à la dérive et ses pertes humaines sont colossales. Il ne peut pas tenir longtemps. D’ailleurs, on doit vous le dire aussi, aux States. Mais l’Ukraine peut résister si nous l’aidons… » Voilà, à notre avis, comment Donald Trump a pris la décision absurde et irréfléchie de ramener le délai à dix ou douze jours.

Pourquoi est-ce absurde et irréfléchi ? Parce que l’avantage des 50 jours était de donner du temps au temps. Comme nous le suggérions dans un précédent article, des choses pouvaient se passer, diluant l’attention, légitimant une évolution, justifiant un progrès, même minime, qui aurait permis de passer à autre chose. Mais, dix à douze jours ? C’est dans une semaine et demie, c’est-à-dire demain ! Et comme la Russie ne va pas céder, il faudra bien que Donald Trump passe aux actes. Et c’est là que le bât blesse. Car, en réalité, ses options sont très limitées et, comme nous l’avons déjà analysé par le passé, ne représentent pas des gages de succès. Bien au contraire.

D’abord les sanctions écrasantes promises sont accueillies en Russie par des haussements d’épaules et des yeux au ciel dédaigneux. Qu’elles soient de 100 % de droits de douane, comme l’a annoncé le président Trump, ou de 500 %, comme le propose avec acharnement le sénateur Lindsey Graham, elles sont inapplicables. En ce qui concerne les sanctions primaires, les importations américaines en provenance de Russie ne se sont élevées qu’à environ 3,2 milliards USD en 2024, soit une baisse de plus de 34 % par rapport à 2023 et de plus de 75 % par rapport aux niveaux de 2021. Les principales exportations russes vers les États-Unis sont les engrais, les métaux précieux et les produits chimiques inorganiques. Cela signifie que les menaces trumpiennes ne sont que des paroles en l’air. Comme le souligne Larry C. Johnson dans un article substack : « L'arrêt des livraisons d'engrais et de métaux précieux ne nuira en rien à l'économie russe. »

Quant aux sanctions secondaires, ni la Chine, ni l’Inde, ni le Brésil – tous les trois membres fondateurs des BRICS – ne semblent guère impressionnés par la menace. La Chine et l’Inde, en particulier, ont besoin de l’énergie russe pour faire tourner leur économie et les États-Unis sont trop dépendants des terres rares chinoises pour leur industrie de défense. Quand on voit comment les précédents bras de fer sur les droits de douane ont mal tourné pour les États-Unis, on ne peut que se poser des questions sur le succès des actuelles menaces. De plus, les pays des BRICS+ avancent vers la dédollarisation de leurs économies respectives. Ce n’est certainement pas le moment pour eux de revenir en arrière en acceptant des diktats de Washington. Il est sans doute temps pour eux d’adopter des réponses collectives. Et cela d’autant plus que, même si elle demeure forte, l’économie américaine n’est plus hégémonique dans un monde multipolaire où ses adversaires se renforcent, alors que ses alliés européens s’affaiblissent.

En plus des sanctions vraisemblablement vouées à l’échec, les États-Unis pourraient reprendre leurs fournitures d’armes à l’Ukraine… sauf que, comme nous l’avons déjà signalé à de nombreuses reprises, les réserves s’épuisent rapidement et deviennent, de l’avis même du département de la Défense, insuffisantes pour tenir tous les fronts potentiels envisagés : Ukraine, Moyen-Orient (Israël, Iran) et Asie (Chine). On voit donc mal comment l’administration Trump, avec les stocks à moitié vidés, pourrait réussir, là où l’administration Biden a échoué avec les stocks pleins.

Alors que les signes d’un prochain effondrement du front ukrainien s’accumulent, les néoconservateurs de part et d’autre de l’Atlantique semblent toujours confits dans l’illusion que pour gagner, il suffit de permettre à l’Ukraine de tenir jusqu’à ce que la Russie s’effondre économiquement. Ils croient également que l’OTAN peut accumuler suffisamment d’armements et de forces pour emporter la victoire face à une armée russe affaiblie par des pertes qu’ils imaginent insoutenables.

Face à la triste réalité de la vacuité des mesures de rétorsion envisagées à la fin de son ultimatum, le président Trump risque de se trouver placé devant un dilemme : ou l’escalade vers la guerre, l’éternelle solution aux problèmes internes que les gouvernements rencontrent, ou le désintérêt : prendre des mesures symboliquement fortes mais sans réelle portée et décider qu’il a fait de son mieux et qu’il est temps de passer à autre chose.

Un événement va dans le sens de cette possibilité : le 25 juillet 2025, Donald Trump expliquait qu’il voulait maintenir les limites dans les armements nucléaires qui avaient été négociées pour le traité New Start, en 2010, qui expirera en février prochain, mais pour cela, il faudra bien engager des négociations avec la Russie. Alors, nouvelle volte-face en prévision ?

Jadis, les soviétologues scrutaient, non les entrailles d’animaux, mais les photos de la Pravda pour deviner les changements de ligne au Kremlin. Aujourd’hui, les analystes de la Maison Blanche devraient plutôt surveiller l’agenda des entretiens du président pour anticiper qui le fera changer d’avis.

 

PIERRE LORRAIN

Journaliste, écrivain - spécialiste de la Russie et de l'ex-Union Soviétique